LONGCHAMP :
HISTOIRE D’UNE PROMENADE
Au XIXe siècle la promenade de Longchamp a déjà
une longue histoire. Son point de départ est un pèlerinage à l’abbaye royale de
Longchamp, fondée
en 1255 par Isabelle de France, fille de Blanche de Castille, sœur de Saint-Louis,
sur un terrain concédé par son frère, et situé sur la paroisse d'Auteuil, plus
précisément dans la forêt de Rouvray, actuel bois de Boulogne. Bien
qu’elle soit connue
dès le XVIe siècle pour le relâchement de la discipline, et que
cette réputation n’ait fait que s’accentuer au fil du temps, comme dans de
nombreux couvents de l’époque, l’Abbaye de Longchamp exerce une attraction
mondaine et musicale durant la Semaine Sainte qui lui est spécifique. Ainsi,
dès le XVIIe siècle les courtisans viennent y « faire
Ténèbres », c’est-à-dire assister aux offices des matines[1] du jeudi
saint, vendredi saint et samedi saint. En 1714, Couperin compose ses
fameuses Leçons de Ténèbres pour les liturgies de la Semaine Sainte
à Longchamp.
Ce pèlerinage de la cour se transforme peu à peu en un étalage de
tenues pompeuses, chacun rivalisant de toilettes écrasantes, de bijoux
éblouissants, voulant avoir l’équipage le plus riche et le plus original. Cette
ostentation et les scandales croissants provoqués par l’affluence amenèrent
l’archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, scandalisé de voir la foule se
donner rendez-vous dans la chapelle de Longchamp comme au théâtre, à en faire
interdire l’accès en 1754 et à proscrire la musique pendant la Semaine Sainte[2]. Le public
n’en continua pas moins à parader durant les jours saints, dans la grande
avenue des Champs-Élysées et dans les allées du bois de Boulogne qui
conduisaient à Longchamp. Le défilé devint une grande fête du luxe et un défilé
des modes printanières, qui connut son apothéose sous les règnes de Louis XV et
de Louis XVI : « On ne fit plus
Ténèbres ; on fit Longchamp toujours ; c’était le principal »[3].
Promenade de Longchamp
Carl Vernet, 1803, Paris, musée Carnavalet.
Photo (C) RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
La révolution l'interrompit, la communauté religieuse fut dissoute
et l’abbaye saccagée. Le Directoire vit renaître le défilé sur les ruines du
couvent. En avril 1797, la citoyenne Juliette Récamier, vêtue à la grecque, les
bras habillés d’armilles ornés de camées, figure dans le cortège. Se
succéderont ensuite les incroyables et les merveilleuses, les lions et les
lionnes, les élégants et les élégantes de tous horizons. La promenade ne connut
dès lors plus d’interruption aussi longue mais son prestige s’éroda peu à peu,
au grand dam des chroniqueuses de mode qui se lamentaient de sa décadence
progressive. Elle finit par disparaître sous le Second Empire. En 1852, le
bois de Boulogne qui appartenait à l’État fut cédé à la ville de Paris qui
décida peu de temps après d’y faire construire le fameux hippodrome. Les
courses alors organisées servirent de prétexte aux élégantes pour exhiber leurs
toilettes à la mode. Les allées du bois de Boulogne demeurèrent un lieu de
promenade privilégié. Les rutilantes voitures hippomobiles, les riches
équipages et les fiers cavaliers continuèrent à parader, assurant encore de
beaux jours à l’industrie du luxe.
[1] L'office porte le nom de Ténèbres parce qu’il est
normalement chanté très tôt le matin dans l'obscurité plus ou moins complète.
[2] Émile RÉGNAULT, Christophe
de Beaumont, archevêque de Paris, 1703-1781. Paris : V. Lecoffre,
1882, vol. 1, p. 256
[3] Victor FOURNEL, Le
vieux Paris, fêtes, jeux et spectacles. Tours : A. Mame et fils, 1887,
p. 155



