vendredi 14 avril 2017

LONGCHAMP : HISTOIRE D’UNE PROMENADE


Au XIXe siècle la promenade de Longchamp a déjà une longue histoire. Son point de départ est un pèlerinage à l’abbaye royale de Longchamp, fondée en 1255 par Isabelle de France, fille de Blanche de Castille, sœur de Saint-Louis, sur un terrain concédé par son frère, et situé sur la paroisse d'Auteuil, plus précisément dans la forêt de Rouvray, actuel bois de Boulogne. Bien qu’elle soit connue dès le XVIe siècle pour le relâchement de la discipline, et que cette réputation n’ait fait que s’accentuer au fil du temps, comme dans de nombreux couvents de l’époque, l’Abbaye de Longchamp exerce une attraction mondaine et musicale durant la Semaine Sainte qui lui est spécifique. Ainsi, dès le XVIIe siècle les courtisans viennent y « faire Ténèbres », c’est-à-dire assister aux offices des matines[1] du jeudi saint, vendredi saint et samedi saint. En 1714, Couperin compose ses fameuses Leçons de Ténèbres pour les liturgies de la Semaine Sainte à Longchamp.



Ce pèlerinage de la cour se transforme peu à peu en un étalage de tenues pompeuses, chacun rivalisant de toilettes écrasantes, de bijoux éblouissants, voulant avoir l’équipage le plus riche et le plus original. Cette ostentation et les scandales croissants provoqués par l’affluence amenèrent l’archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, scandalisé de voir la foule se donner rendez-vous dans la chapelle de Longchamp comme au théâtre, à en faire interdire l’accès en 1754 et à proscrire la musique pendant la Semaine Sainte[2]. Le public n’en continua pas moins à parader durant les jours saints, dans la grande avenue des Champs-Élysées et dans les allées du bois de Boulogne qui conduisaient à Longchamp. Le défilé devint une grande fête du luxe et un défilé des modes printanières, qui connut son apothéose sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI : « On ne fit plus Ténèbres ; on fit Longchamp toujours ; c’était le principal »[3].


Promenade de Longchamp
Carl Vernet, 1803, Paris, musée Carnavalet.
Photo (C) RMN-Grand Palais / Agence Bulloz

La révolution l'interrompit, la communauté religieuse fut dissoute et l’abbaye saccagée. Le Directoire vit renaître le défilé sur les ruines du couvent. En avril 1797, la citoyenne Juliette Récamier, vêtue à la grecque, les bras habillés d’armilles ornés de camées, figure dans le cortège. Se succéderont ensuite les incroyables et les merveilleuses, les lions et les lionnes, les élégants et les élégantes de tous horizons. La promenade ne connut dès lors plus d’interruption aussi longue mais son prestige s’éroda peu à peu, au grand dam des chroniqueuses de mode qui se lamentaient de sa décadence progressive. Elle finit par disparaître sous le Second Empire. En 1852, le bois de Boulogne qui appartenait à l’État fut cédé à la ville de Paris qui décida peu de temps après d’y faire construire le fameux hippodrome. Les courses alors organisées servirent de prétexte aux élégantes pour exhiber leurs toilettes à la mode. Les allées du bois de Boulogne demeurèrent un lieu de promenade privilégié. Les rutilantes voitures hippomobiles, les riches équipages et les fiers cavaliers continuèrent à parader, assurant encore de beaux jours à l’industrie du luxe.





[1] L'office porte le nom de Ténèbres parce qu’il est normalement chanté très tôt le matin dans l'obscurité plus ou moins complète.
[2] Émile RÉGNAULT, Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, 1703-1781. Paris : V. Lecoffre, 1882, vol. 1,  p. 256
[3] Victor FOURNEL, Le vieux Paris, fêtes, jeux et spectacles. Tours : A. Mame et fils, 1887, p. 155

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